Fossiles, archives de la vie: les témoins d'une évolution lente et progressive, coupée d'événements catastrophiques hasardeux. La vie n'est pas un long fleuve tranquille et l'homme n'est pas une finalité évolutive. Il occupe une place tout à fait marginale, mais originale, dans le grand arbre généalogique de la vie.

  À l'origine de la vie, le fond des Océans de la planète primitive était colonisé par des tapis bactériens filamenteux qui se développaient en forme de colonnes, les stromatolithes. Les premiers reconnus en Australie datent de 3,5 milliards d'années. Ci-dessous le gisement de Ouarzazatte (Maroc) daté de 700 millions d'années environ. À cette époque les premiers continents étaient encore stériles, comme la surface du sol de la planète Mars.

 

  Les stromatolithes, pratiquant la photosynthèse, rejetaient de l'oxygène dans l'atmosphère composée essentiellement de CO2 au début de l'histoire de notre planète. Ce sont donc ces filaments qui sont à l'origine de notre atmosphère actuelle oxydante (25% de O2). À droite de la photo: des cellules alignées en filaments bactériens actuels, que l'on nomme parfois cyanobactéries, constructeurs de stromatolithes.

 

 

  Cellules primitives, division cellulaire prise sur le vif, il y a un milliard d'années, en Australie. Fossilisation à l'intérieur d'un silex.

 

La vie se complexifie dans les mers et sur les continents pendant l'ère primaire. Ici des microrganismes: les Fusulines, des cellules animales (foraminifères eucaryotes) géantes, capables de sécréter une coquille calcaire centimétrique. Lame en section mince de roche gracieusement mise à disposition par Catherine Jenny, paléontologue.

 

  Traces de pas d'un dinosaurien tridactyle découvertes par Jacques Jenny dans un terrain jurassique du Haut Atlas (Maroc). Ces empreintes datent de 180 millions d'années environ. 

 

 

 

Le vénérable ancêtre de tous les vertébrés: le genre Pikaïa, un fossile de c(h)ordé découvert au début du XXe siècle dans les schistes de Burgess au Canada, datés de 540 millions d'années. Cet ancêtre des poissons ne possédait pas encore de squelette minéralisé, mais un cordon neural en position dorsale. Le Pikaïa  était aveugle, et les plissements le long de son corps ne sont pas des côtes, mais plutôt des replis musculaires. (cf. Gould, 1991, La vie est belle, éditions du seuil)

On connaît un équivalent actuel de cet organisme primitif; il s'agit du genre Amphioxus, vivant dans des lacs mexicains.

 

Quelques réflexions en guise de conclusion:

La Terre a un passé fabuleux qui a débuté il y a environ 4 milliards et demi d'années. C'est pendant cette longue histoire que les éléments naturels ont forgé le patrimoine biologique de l'humanité. Ce passé déchiffré patiemment par le géologue permet de situer notre environnement actuel dans son évolution, de le comprendre et surtout de le respecter.

Ces archives paléontologiques servent à nous faire saisir l'abîme des temps géologiques ainsi que le caractère éphémère des paysages qui nous entourent. Nous sommes sur une planète vivante, en lente mais inéluctable transformation. Les roches et les fossiles que nous foulons du pied au cours de nos promenades, sur les sentiers de montagne, sont les témoins de ces bouleversements: le passant curieux et le naturaliste peuvent y découvrir l'enregistrement partiel d'un événement de l'Histoire de la Terre. Ainsi les sables molassiques du Jorat et les coquilles fossiles qu'ils contiennent nous apprennent qu'un bras de mer occupait le Moyen-Pays il y a 18 millions d'années, au front de la jeune chaîne alpine.

Avant cette époque, notre pays a connu bien d'autres péripéties: d'abord mer tropicale, avec ses récifs de coraux au cours de l'ère secondaire, il devient terre émergée recouverte d'une forêt dense pendant le Tertiaire, puis plaine marécageuse envahie à plusieurs reprises par la mer. Le Jorat s'est soulevé de 900 mètres sous l'effet des derniers mouvements alpins.

Enfin, conséquence du refroidissement généralisé de la planète, un grand événement climatique modifie complètement la physionomie de notre région, il y a 2 millions d'années: les glaciers alpins descendent jusqu'en plaine, recouvrant le Moyen-Pays d'une calotte de glace de près d'un kilomètre d'épaisseur.

L'Histoire géologique du Moyen-Pays helvétique s'inscrit dans un contexte planétaire beaucoup plus vaste. Le relief évolue en étroite relation avec l'érection de la chaîne alpine, dont les produits d'érosion ont alimenté les dépôts molassiques; cette chaîne est elle-même un produit de la collision qui opposa le continent africain et l'Europe. Ces mouvements expriment des déséquilibres thermiques qui règnent en profondeur dans le magma, sous l'écorce terrestre. L'évolution de la croûte continentale induit également des variations au niveau du climat, ce dernier étant par ailleurs dépendant de facteurs astronomiques ( variations périodiques de l'inclinaison de l'axe de la Terre ou de la forme de l'ellipse de rotation autour du soleil). Ainsi, tous ces visages de notre planète se sont succédé comme une suite de décors sur une scène de théâtre. Cependant la pièce se déroulait dans une salle vide, sans public averti pour l'apprécier: l'homme, la conscience du monde, n'était pas encore apparu.

Imaginez-vous traversant les forêts tropicales du Tertiaire, où régnait une riche faune de reptiles et de mammifères, il y a 25 millions d'années. Pendant des jours votre safari longera le pied des Alpes depuis la vallée du Rhône jusqu'en Autriche, sans rencontrer un être humain ! Rien que des cris d'oiseaux et des grognements d'animaux  (hippopotames et rhinocéros primitifs, tapirs) autour des points d'eau marécageux. Pourtant cette faune était assez proche de celle que nous connaissons et la végétation était celle de l'Afrique du Nord. Un monde familier et hostile à la fois. Jusque-là et depuis les origines du globe, l'Histoire de la Terre et de la Vie s'est faite sans l'homme.

Et puis, fait unique dans l'évolution, nos ancêtres les australopithèques (avec Lucy), sont apparus il y a environ 3 millions d'années en Afrique de l'Est, peut-être les descendants de Tumaï au Tchad, un "singe" évolué il y a 7 millions d'années ( mais alors où est le berceau de l'humanité ?). Émergeant timidement du monde animal, l'homme moderne s'est finalement imposé sous l'effet d'une poussée démographique et conquérante, en croyant être le possesseur légitime de la planète. Le facteur humain, cet élément original de l'évolution biologique, vient ainsi s'ajouter à tous les processus naturels pour contribuer à façonner un nouveau visage à la surface de la Terre: l'homme transforme peu à peu les paysages, d'abord modestement, puis, au cours des derniers siècles, à une vitesse sans comparaison avec celle de l'Histoire naturelle de la Terre, exception faite des catastrophes maintenant reconnues: chutes de météorites ou volcanisme. Et le paradoxe, c'est que ses activités démesurées se retournent maintenant contre lui en quelques décennies, menaçant son bien-être.

La connaissance du passé géologique de la planète ( et de l'Histoire de la Vie) est donc indispensable pour juger de nos actes et les mesurer; elle favorise la prise de conscience de la fragilité des équilibres naturels.

Mais le hasard (ou la contingence) qui a toujours joué un rôle à tous les niveaux hiérarchiques de la Vie ne nous permet pas de présumer de l'avenir de notre espèce et des autres espèces animales et végétales qui nous accompagnent sur la planète bleue...